Analyse de "Le Monde des Bilingues"

Publié le 19 avril sur le blog de Jonathan Goldberg et Jean Leclercq La moitié, au moins, de l'humanité est bilingue. En France, pays officiellement monolingue, on estime qu'environ 400 langues sont parlées. Quand François Grosjean, professeur émérite de psycholinguistique, décrit  le monde des bilingues, il le fait avec précision et justesse, en examinant des recherches actuelles et anciennes, dont certaines menées par lui-même. L'auteur, devenu bilingue à 8 ans grâce à une scolarité en anglais, vit aujourd'hui en Suisse romande où il a gardé l'anglais comme langue de travail, alors que le français est sa langue dominante à l'oral. Ce nouveau livre de François Grosjean, qui est son premier en français, se justifie par le fait que le bilinguisme est un phénomène de plus en plus fréquent qui ne laisse pas indifférent. Chacun, qu'il soit bilingue ou monolingue, se fait des idées de ce que veut dire être bilingue, et des inconvénients et avantages que cela représente.

 

Dans son ouvrage F. Grosjean aborde les différentes dimensions du bilinguisme, des aspects cognitifs du langage jusqu'aux représentations souvent négatives. D'entrée de jeu l'auteur épingle le fait que le bilinguisme individuel n'est pas exprimé et valorisé en France, pays qui défend le plurilinguisme à l'extérieur, particulièrement dans les pays de la francophonie. Il émet le souhait qu'à l'image de Barak Obama, un de nos ministres ou personnages d'Etat, issu d'une minorité linguistique, puisse un jour prononcer quelques mots de son autre langue « et ainsi faire valoir sa diversité linguistique et culturelle sans que cela soit pris comme un reniement de son identité française. » (31) Parmi les nombreuses définitions du bilinguisme celle de F Grosjean a le mérite de prendre en compte la complexité du phénomène. Elle est aujourd'hui largement admise, dans la communauté scientifique, comme la seule définition acceptable. Depuis ses premiers écrits, Grosjean prône une vision holistique du bilinguisme qui stipule que le bilingue n'est pas comme deux monolingues en une seule personne, mais un être communicant à part entière.

 

Le bilingue fonctionne selon le principe de complémentarité. Du fait que  les bilingues« apprennent et utilisent les langues dans des situations différentes avec des personnes variées pour des objectifs distincts » (41), la connaissance linguistique est plus ou moins développée selon le nombre de contextes où l'une ou l'autre langue est utilisée.

 

Si le bilinguisme sonne aujourd'hui comme une promesse de réussite, une ambiguïté règne toujours autour du bien-fondé du bilinguisme des enfants. Alors que certaines langues sont considérées comme adaptées à atteindre ce rêve, d'autres sont considérées comme source de troubles pour l'enfant.

 

Parmi les nombreux facteurs qui déterminent le développement du bilinguisme, Grosjean insiste sur un critère rarement pris en compte, qui constitue pourtant la base du bilinguisme chez l'enfant: le besoin de communiquer dans une langue donnée.

 

S'il fallait donner un conseil aux parents d'enfants bilingues, ce serait de ne pas se fier aux idées reçues qui sont nombreuses. Au cliché qui veut que le vrai bilingue parle sans accent, Grosjean oppose « qu'il n'y a aucun lien entre la connaissance que l'on peut avoir d'une langue et l'accent. » (38) Pour lui, l'accent ne devrait pas être un critère pour juger le degré d'appartenance nationale d'un individu.

 

Au cliché qui voit dans l'alternance des codes une non-maîtrise des langues, l'auteur oppose des données scientifiques, affirmant que le bilingue, en mode monolingue, ne désactive jamais complètement l'autre langue, ce qui peut aboutir à des interférences.

 

Quant à l'idée que le bilinguisme causerait des troubles du langage, Grosjean nous rassure. De nombreuses études contredisent cette croyance et confirment que ce n'est pas une raison pour arrêter de parler une langue et donc sacrifier le bilinguisme.

 

Bien que les parents aient un rôle important à jouer dans l'éducation bilingue, il ne faut pas négliger le poids de l'école. Grosjean n'est pas le seul à déplorer que l'école ne fasse rien pour encourager le maintien de la première langue, mais qu'elle fasse tout « pour que l'enfant passe d'un monolinguisme dans sa langue première à un monolinguisme dans la langue majoritaire, en restant le moins de temps possible à l'étape du bilinguisme. » (122)

 

La meilleure manière d'encourager et soutenir le bilinguisme à l'école est bien entendu l'enseignement bilingue, pour lequel l'auteur cite quelques exemples de réussite que l'on cherche en vain en France, du moins dans l'enseignement publique.

 

Au vu des initiatives heureuses dans d'autres pays pour accueillir les enfants allophones à l'école, et vue l'absence de politique linguistique en France, on reste sans réponse à la question de Philippe Martel, à savoir « Pourquoi, dans un pays marqué depuis tant de siècles par la diversité linguistique, a-t-on choisi la démarche du monolinguisme le plus absolu ? » (127)

 

Au sujet de l'enseignement des langues en France, Grosjean confirme un présupposé bien connu: on ne devient pas bilingue en suivant les cours de langues du primaire au secondaire!

 

Faisant écho, sans le vouloir, à la récente polémique sur l'enseignement des langues et cultures d'origine (ELCO) à l'école publique, hors temps scolaire, l'auteur déplore les faiblesses du dispositif, mais constate néanmoins que « le fait d'avoir accès à ce type d'enseignement est déjà un point positif et permet à certains enfants de maintenir, sinon d'améliorer, leurs connaissances dans la langue minoritaire » (131).

 

Dans les ouvrages sur le bilinguisme, le biculturalisme est rarement traité de manière aussi détaillée qu'ici. Il est vrai que le lien entre bilinguisme et biculturalisme est difficile à définir et en tous les cas loin d'être automatique. Encore faut-il s'accorder sur le terme de culture. Selon Grosjean, le biculturalisme entraine « la synthèse des normes de deux cultures en un seul répertoire comportemental.» (169)

 

Pour compléter le tour du monde des bilingues, le bilinguisme en langue des signes est abordé, de même que quelques cas de bilingues exceptionnels, traducteurs, interprètes, écrivains.

 

Parler plusieurs langues »est un ouvrage utile, rédigé dans un langage accessible, basé sur la longue expérience d'un chercheur et bilingue. Il intéressera tous les professionnels, étudiants, enseignants, et toute personne désireuse de mieux comprendre une réalité linguistique qui caractérise tant de personnes à travers le monde.

 

Barbara Abdelilah-Bauer pour le blog Le Mot Juste En Anglais

 

 

 

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