Comment je suis "redevenue" bilingue

Je viens de finir votre livre "Le défi des enfants bilingues", après avoir découvert votre site il y a quelques temps. MERCI pour cet ouvrage à la fois intelligent et rassurant! Loin de toutes les peurs et des angoisses liées au bilinguisme.

Je suis franco-tchèque, née en France, d'un père tchèque et d'une mère française. J'ai grandi en partie éduquée par ma mère et ma grand-mère tchèque (qui venait une bonne partie de l'année quand j'étais petite et en fonction des visas accordés par le régime d'alors), donc le tchèque a été, comme je le dis souvent, ma langue "grand-maternelle".

Mon père devant apprendre le français, nous n'avons jamais parlé tchèque à la maison. J'ai parlé tchèque petite avec ma grand-mère,  avec mon père quand il était là et elle aussi (il faisait ses études assez loin de notre région) et ma mère a appris le tchèque, pour communiquer avec la famille tchèque et "maintenir la langue" à la maison, pour moi, par des histoires et des contes ou des chansons lorsque ma grand-mère n'était pas là.

Mais pendant longtemps (hormis la toute petite enfance) mon niveau a été assez médiocre, avec des connaissances de jeu, de contes, de situations quotidiennes (la nourriture etc.), mais en grandissant, je ne comprenais guère par exemple le journal TV quand nous revenions à Prague.

 

A 23 ans, je suis "revenue" en Tchéquie, pour découvrir le pays davantage qu'en vacances et améliorer la langue. Auparavant, pendant mes études j'avais suivi des cours aux Langues O, puis étant revenue dans ma région, à l'université de Strasbourg, mais j'étais toujours frustrée : à la fois j'avais de grosses lacunes grammaticales, en même temps, l'enseignement n'était pas adapté à quelqu'un qui maîtrisait quand même pas mal la langue.

Mon retour à Prague a été dur au début. J'ai beaucoup lu (des journaux surtout, moins longs à lire que des livres, où il est frustrant d'avancer au rythme de l'escargot, surtout quand on est habitué à les dévorer!), pas mal regardé la télé aussi (tant que je ne connaissais pas tant de monde), et puis rencontré des gens, travaillé dans des secteurs où je n'avais pas le choix et il fallait parler.

 

Un jour, il y a eu un déclic : je me rappelle (je crois que c'était à la fin de la première année) avoir lu le mot "protivaha" (je l'écris sans diacritique) ce qui est le substantif tiré de "contrebalancer" en français. Et je me suis dit : "oh, c'est pareil qu'en français contre-balancer, proti-vaha, il y a la même idée dans la construction du mot!). A partir de ce moment-là, je crois que mon tchèque a fait un grand bond en avant. Et surtout, j'ai vu porter les fruits de cette immersion voulue dans le pays.


Je peux dire que je suis "redevenue bilingue". Je l'étais petite je pense, à mon niveau d'enfant. Puis j'ai perdu une partie de mes connaissances vivant dans un pays (la France) où tout le monde me demandait : "y a la guerre dans ton pays?" (cf. la guerre de Yougoslavie, puis celle de Tchétchénie...) :) et aussi parce que nous n'avons jamais instauré les deux langues à la maison. Et je pense que je suis redevenue désormais bilingue.


Aujourd'hui je suis mariée à un Tchèque, et nous avons une petite fille de 16 mois, Viviane. Je lui parle en français. Mais beaucoup de choses de l'enfance sont pour moi tchèques, alors quand je lui lis des histoires, je la lis dans la langue du livre. Et puis je lui chante des chansons françaises, mais tchèques aussi. Parce que je me dis que ça fait partie de moi aussi... Je circonscris ces moments tchèques avec elle aux histoires et chansons. Je pense bien faire... Parce que de toutes les façons, ce n'est pas mon mari qui les connaît ces chansons etc., c'est moi! C'est le paradoxe!


Sinon, je lui parle français, et lui tchèque. Pour l'heure je pense qu'elle comprend mieux le français. Mais vivant en Tchéquie, le français est voué à être la langue "avec maman, mamie, et les amies de maman"...
Et le paradoxe de tout ça, c'est que maintenant, quand nous sommes dans ma famille avec mon mari (qui ne parle pas français), eh bien, du coup, nous parlons tous tchèque - même avec mon père, alors qu'autrefois ce n'était jamais le cas.


Même mon frère est un cas particulier : il a toujours refusé, petit, de parler tchèque avec ma grand-mère, et y a été moins exposé, ayant six ans de moins que moi. Il s'est rendu compte sur le tard que c'était dommage. Il l'a réappris, de manière "scolaire", par des cours et des séjours intensifs en Tchéquie, et il le parle aujourd'hui, pas totalement parfaitement, mais très bien selon moi. C'est assez fou! Je pense quand même que le fait d'avoir entendu la langue petit et dans son adolescence a aidé à "rattraper" le retard... Ce n'est pas comme s'il s'était lancé dans une langue totalement inconnue non plus. Mais c'est un tour de force quand même et je suis fière de lui.


Anna K.

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