La Réunion, ce "caillou jeté dans l’océan indien" et néanmoins département français, peine à voir ses particularismes reconnus par la République.
A commencer par la langue de communication de la majorité des habitants de cette belle île. Souvent décrié comme sabir, dialecte, ou simple déformation du français, le créole est
parlé par 80% des familles. En même temps et dans ces mêmes familles, sa dévalorisation est intériorisée à tel point qu’à la question s’il parle créole, un petit élève de maternelle
répond à sa maîtresse "mi koz pa kréol " (je ne parle pas créole) !
Dévalorisation distillée par l’école où on incite l’élève à reformuler un énoncé spontané (en créole) en français par un "comment ça se dit correctement ?"
A la Réunion plus qu’ailleurs l’école faillit lamentablement à sa mission de donner les mêmes chances de réussite à tous les enfants en traitant la première langue des élèves
comme une simple déformation du code "correct ".
Il faut bien se mettre à l’évidence. Le créole est la langue maternelle des Réunionnais, mais l’école s’obstine à enseigner le français comme langue maternelle à des enfants qui
ne le parlent pas !
Pas étonnant alors que les petits de maternelle, après quelques corrections de leur parler ‘fautif ‘, se taisent. "Au fil des ans, les enfants deviennent de plus en plus
silencieux en classe ", constate une enseignante avant de poursuivre "serait-ce parce qu’ils finissent par comprendre que leur langue n’est pas acceptée à l’école ?"
Le taux d’échec scolaire du département – les évaluations en classe de CM2 sont situées 10 points en dessous de la moyenne nationale ! – est le résultat, du moins en partie, de cette non
prise en compte de la première langue des enfants.
C’est aussi l’avis du député Jean Jacques
Vlody qui propose, dans un amendement à la loi sur la refondation de l’école, d’appliquer dans les outre-mer des approches pédagogiques spécifiques dans l’enseignement du
français en tant que seconde langue des enfants.
"Un enfant n'apprend pas le français de la même manière selon qu'il vive et parle au quotidien en créole ou en français. L'école doit prendre en considération cette spécificité - qui est une
richesse - si elle veut vraiment que tous ses enfants réussissent."
Accueillir les enfants dans leur langue maternelle, tel est l’objectif des classes bilingues créole/ français, ce qui constitue à mon sens un premier pas dans la lutte contre l’échec
scolaire sur l’île.
20 classes bilingues maternelles français/créole ont vu le jour depuis 6 ans, grâce à l’engagement d’enseignants et d’associations comme l’Ofis la lang kréol la Rénion (L’Office pour la langue créole de la Réunion).
Les preuves de réussite de cet enseignement ne manquent pas. Des enfants "mutiques" deviennent bavards en classe de créole et se révèlent être loin de l’image du petit créolophone " vide "
véhiculée par certains enseignants de français.
Malheureusement, le vent a tourné avec l’arrivée du nouveau recteur d’académie en janvier 2013. Malgré que 60% des Réunionnais souhaitent que le créole soit enseigné à école
(enquête IFOP 2007), le rectorat ne souhaite pas étendre le dispositif des classes bilingues !
L’attitude frileuse du recteur est relayée par l’inspecteur d’académie (DASEN selon la nouvelle appellation) qui se dit ne "pas (être) favorable au bilinguisme additif "!
L’affirmation dénote une totale ignorance du bilinguisme, voire un mépris du bilinguisme créole/français.
A défaut d’approuver le bilinguisme additif (quand la seconde langue augmente les compétences linguistiques et cognitives), ce pédagogue pencherait-il en faveur du bilinguisme
soustractif (la seconde langue s’installe au dépens de la première pouvant entrainer un déficit langagier dans les deux langues) ?
Car bilinguisme il y a sur l’île de la Réunion, c’est évident. La plupart de mes interlocuteurs lors de mon séjour sur l’île pratiquaient ce que François Grosjean appelle la
« troisième langue du bilingue », le mélange du créole et du français – un « créole francisé » comme l’appelle Axel Gauvin, président de l'Ofis la lang kréol.
Un des défis de l’enseignement en classe bilingue est justement le développement de la capacité de différencier les deux codes, ce qui demande une
pédagogie particulière.
La situation est également catastrophique au collège, où le taux de passage en seconde a été, dans certains collèges, de 40% en 2012 ! Arrivés au collège avec un handicap majeur, celui
de ne pas maîtriser le français standard, une grande partie des élèves refuse de s’exprimer à l’oral. "N’i gaigne pa, nous la onte" (nous ne savons pas, nous avons honte »).
C’est pour lever ce blocage que quelques enseignants du collège Plateau Goyave ont élaboré le projet d’une sixième bilingue créole/français. Le projet prévoit, à côté de
l’enseignement du créole et d’un travail sur la différenciation des codes, un enseignement de l’histoire et de la culture réunionnaises spécifiques.
A la Réunion, "nos ancêtres ne sont pas les Gaulois" !
Il est regrettable que l’académie ne perçoive pas l’importance de ce travail entrepris par les enseignants en direction des enfants, surtout ceux qui sont les plus
fragilisés.
Dans ce contexte décourageant, des enseignants et des associations se battent pourtant pour la reconnaissance du créole à l'école. Queques médias se font leur relais*, mais les résistances sont énormes, aussi dans la population
créolophone.
Un travail de sensibilisation de longue haleine sera nécessaire auprès des familles qui devront comprendre que le bilinguisme additif est possible et souhaitable pour leurs
enfants.
A la Réunion, la réussite scolaire passe certes par la maîtrise du français, mais la réussite en français ne peut se faire sans le détour par la langue régionale, le
créole !
* J'étais invitée le 3 mai, avec Axel Gauvin, à l'émission Coup de poing sur l'actu, sur Réunion 1re et le 8 mai,. Yvette Duchemen, directrice d'école et Monique Turpin, enseignante à la
retraite, a défendu les classes bilingues dans cette même émission.
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Met lékol Matinik (jeudi, 16 mai 2013 23:36)
Excellent article!!!!
Il présente une très bonne analyse de la situation sociolinguistique réunionnaise. Elle rappelle sur beaucoup de point celle de ses sœurs et cousines: guadeloupéenne, guyanaise et martiniquaise.
Dans chaque Département Région d'Outremers, créole, français-régionale et français-standard se côtoient, alternent quotidiennement dans le discours des locuteurs de ces pays.
Les pistes pédagogiques proposées sont les seules aujourd'hui valables pour un épanouissement langagier,l'acquisition de solides compétences dans tous les domaines et la réussite scolaire de chaque élève.
La surdité du ministère de l'Education Nationale en pleine "Refondation de l'Ecole Publique" surprend, étonne de la part d'un Gouvernement Socialiste.
Aujourd'hui dans ces DROM, la prise en compte du créole à l'école comme langue obligatoire et non optionnelle est la seule option possible pour de bonnes acquisitions langagières en français pour une grande majorité des élèves.
Sé konsa! Pa ni dot manniè fè!
Il ne peut en être autrement!
Didier J-F G (dimanche, 19 mai 2013)
Merci pour cet article éclairant. Il est en effet étonnant qu'un gouvernement de gauche semble revenir en arrière en matière d'éducation, ici de bilinguisme additif. Nous souhaiterions un peu d'audace, d'intelligence (du coeur)et de modestie (oui;cela permet de mieux comprendre)de la part d'autorités émanant d'un gouvernement soit-disant "progressiste".
hueber elise (mardi, 25 juin 2013 00:05)
cela ne m'étonne pas, le même travail de sape existe en alsace pour l'enseigne bilingue allemand et alsacien par l'éducation nationale!!!!
Contre l'avis des citoyens, ils démontent les acquis de 10ène d'années de travail de militantisme bilingue !!!
A quand une éducation REGIONALE, pour faire comprendre aux technocrates que le français n'est pas une langue "mondiale", et qu'il est impératif de laisser les citoyens du monde s'exprimer dans leur langue de coeur !
Nadège Picard-Rivière (samedi, 01 février 2014 06:58)
Bravo pour cet article qui démontre l'incurie du pouvoir central et du recteur d'académie et leur volonté de ne pas tenir compte de l'évidence.
Vouloir à ce point nier le réunionnais en tant que langue première et l'exclure ainsi de l'école à la Réunion équivaut à nier l'histoire de l'île et cela s'apparente à du révisionnisme jacobiniste d'un autre âge, une sorte de crime contre l'humanité.
Parce que nos premiers ancêtres sont malgaches, bretons, vendéens, poitevins... Et non des gaulois, ni des français.
Michaël (lundi, 03 mars 2014 23:46)
A Nadège Picard-Rivière,
Parce que Bretons, Vendéens et Poitevins, ce n' est pas français peut-être ?